E-commerce et Effet Rebond

 

Effet rebond

Rebond !

Le e-commerce se porte de nouveau bien !

D’après la Fevad, en 2024, le secteur a atteint un chiffre d’affaires record de 175,3 milliards d’euros, en hausse de 9,6% par rapport à 2023.

Alors qu’en 2023, la croissance du e-commerce était principalement alimentée par l’inflation, c’est bien une augmentation des transactions qui booste le e-commerce français avec une accélération de +10% en un an. Cela représente un achat en ligne par semaine en moyenne par cyberacheteur.

Si cela est une bonne nouvelle pour le secteur, cela l’est sans doute moins si l’on considère que c’est précisément les impacts d’une commande en ligne qui pèsent directement ou indirectement dans l’empreinte environnementale du e-commerce : empreinte matière du produit, fabrication des terminaux et consommation énergétique des serveurs pour réaliser la commande en ligne, transports et livraisons des colis, emballages, éventuels retours,...Certes, un achat sur internet peut paraître, à première vue, plus vertueux que de se rendre dans un magasin physique…Mais encore faut-il prendre en compte les effets directs et indirects !

Effet Rebond…

Initialement identifié par Jevons en 1865, l’effet Rebond décrit un phénomène social et économique. Il peut se définir comme un changement d’usage ou de consommation, qui consiste le plus souvent en une augmentation, lié à l’amélioration de l’accès ou à une efficacité plus grande d’une technologie. Ainsi, les économies d’énergie ou de ressources prévues par l'utilisation d’une technologie plus performante, peuvent être partiellement ou complètement compensées. On parle alors de “backfire effect”.

Le terme est aujourd’hui employé pour désigner de manière générique différents types d’effets, et plus largement les externalités négatives, et notamment environnementales, liées à un processus.

Ça me fait de l’effet !

Alors, quels sont les différents effets sur l’environnement liés au e-commerce ? Une récente étude de l’ADEME sur les effets du Numérique nous apporte des réponses. Ce qui suit s’en inspire largement.

On peut déjà distinguer les effets directs des effets indirects.

Effets directs

Il va s’agir des impacts environnementaux liés au cycle de vie (extraction des matières premières, fabrication, distribution, usage et fin de vie) des équipements nécessaires au fonctionnement du site e-commerce. On distingue en général les terminaux des utilisateurs et des utilisatrices, les équipements réseaux et les infrastructures d’hébergement. On peut y ajouter également l’impact des équipes chargées du développement, de la maintenance et du fonctionnement des sites marchands.

Le Baromètre de l’Éco-conception Digitale, publié par Razorfish et GreenIT, classe depuis 3 ans les sites web les plus représentatifs de l’économie française (CAC40 et TOP40 e-commerce) en fonction de leur performance environnementale. L’édition 2024 souligne ainsi le recul des e-marchands en matière d’écoconception numérique. L’étude évalue l’impact sur 2024 des 40 plus gros sites e-commerce français à l’émission de 7 millions de kg CO2eq, soit l’équivalent de 1007 tours du monde et à la consommation de 106 millions de litres d’eau, soit l’équivalent de la consommation pendant une année de 1983 Français·es !

Effets indirects

Ces effets peuvent être de nature économique, culturelle, technique ou sociétale.

On distingue tout d’abord les effets d’induction, soit des nouveaux usages induits par une nouvelle technologie. Dans le cadre du e-commerce, il va s’agir des nouveaux phénomènes de consommation qui ne seraient pas advenus sans les possibilités offertes par les sites marchands. Par exemple, avec Shein, on assiste au phénomène de “virtualisation” de la mode ! Un habit sera fabriqué, acheté, livré, avec tous les impacts sur l’environnement et l’exploitation d’êtres humains que cela suppose, pour être porté une fois pour une vidéo sur TikTok, puis tout simplement jeté ou renvoyé !!

Les effets de substitution permettent le remplacement de technologies moins disantes d’un point de vue environnemental, par des technologies plus vertueuses. Quand les deux systèmes coexistent, on parle d’effet d’empilement, ce qui est clairement le cas dans le cadre du e-commerce, le retail n’ayant pas disparu ! En effet, les Français·es sont encore très attaché·es aux points de vente physiques comme en témoigne cette étude d’OpinionWay.

Focus sur l’impact environnemental du transport lié au commerce en ligne
Le fait d’éviter des déplacements pour faire ses achats est en général le premier argument “écolo” brandi en faveur du e-commerce. En effet, un déplacement particulier est ici substitué par une livraison à domicile, réputée optimisée et mutualisée. Mais par ailleurs l'achat en ligne induit des emballages. De plus, d’après différentes études (notamment une étude de l’ADEME de 2023), les conclusions dépendent beaucoup du contexte géographique, des habitudes de consommation et des infrastructures disponibles pour se déplacer. Il n’a pas été possible ainsi de démontrer un avantage systématique incontestable en faveur du e-commerce

Etude sur le commerce en ligne

Source : “COMMERCE EN LIGNE : IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DE LA LOGISTIQUE, DES TRANSPORTS ET DES DÉPLACEMENTS” - ADEME - Avril 2023

Les effets d’optimisation ou d’efficacité permettent, grâce à une nouvelle solution, d’utiliser moins de ressources. Dans le cadre du e-commerce, on pense aux économies de matières liées à la construction des bâtiments, aux économies de chauffage des magasins. Ou encore aux optimisations des stocks et de la production grâce à une anticipation accélérée des ventes avec l’IA ou encore les pré-commandes à la demande.

Les effets Rebond directs induisent une augmentation de la consommation des utilisateurs et des utilisatrices grâce à une amélioration de l’efficacité de la solution technologique. Le e-commerce a globalement contribué depuis son développement en France, et dans le monde, à une augmentation de la consommation, en levant les barrières à l’achat : extension de la zone de chalandise, disponibilité des produits, facilité de la commande, accentuation des achats d’impulsion, saturation du temps d’attention par des messages publicitaires…

Les effets Rebond indirects induisent le report des gains dégagés grâce à l’efficacité accrue de la solution technologique, sur d’autres usages ou actes de consommation. Le e-commerce s’est largement développé sur un modèle promotionnel et de recherche de la meilleure affaire. Les gains financiers obtenus grâce à des opérations comme le Black Friday, peuvent être réinvestis dans d’autres activités comme les voyages.

Les technologies peuvent provoquer des effets de transformations sociétales et économiques à des échelles importantes. On parle alors d’effets rebond macroéconomiques et de transformations sociétales. On pense par exemple à quel point le secteur de la mode a évolué avec le e-commerce. Ou encore la contribution du e-commerce à la disparition des petits commerces de centre-ville, déjà mis à mal par les grandes surfaces des périphéries. Ou aussi l’évolution de l’emploi dans le secteur du retail, des vendeurs ou vendeuses devenant préparateurs et préparatrices de commandes.

Les impacts nets

Pour évaluer rigoureusement les impacts environnementaux d’une activité e-commerce, il convient de définir un scénario de référence, par exemple un magasin physique et d’évaluer les impacts induits par l’ensemble des effets décrits ci-dessous ! Les impacts nets correspondent à la différence entre les impacts du scenario de référence et les impacts du scenario où la solution est déployée

Impacts nets

Source : “ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES EFFETS DIRECTS ET INDIRECTS DU NUMÉRIQUE POUR DES CAS D’USAGES” - ADEME - Novembre 2024

Exemple d’une plateforme d’achat/vente de produits d’occasion entre individus

Dans son étude, l’ADEME a analysé les effets directs et indirects d’une plateforme d’achat/vente de produits d’occasion entre particuliers. Les plateformes numériques peuvent réellement faciliter la vente et la revente entre individus de produits de seconde main et permettent ainsi d’éviter l’achat de produits neufs, et donc les multiples impacts environnementaux liés à leur cycle de vie. Les auteur·rices de l’étude identifiant néanmoins les effets suivants :

  • Effets de substitution : achats traditionnellement faits dans des friperies locales, dons entre personnes, livraison.
  • Effets d’optimisation : augmenter la durée de vie des objets, réduire la production de déchets, réduire les surfaces de ventes physiques, les coûts énergétiques, réduire les déplacements.
  • Effets rebonds directs ou indirects : augmentation de la fréquence des achats, notamment impulsifs (faible coût financier, faible coût environnemental perçu, possibilité de revente sur la plateforme), particulièrement vrai dans le cas de la mode, réinvestissement des économies dans d’autres achats, élargissement de la zone de chalandise (à l’échelle de l’Europe, vs les friperies locales), et donc augmentation des impacts de la livraison des colis.
  • Effets d’empilement : le volume des ventes sur le marché du neuf continue de progresser, en parallèle des marchés de seconde main.
  • Effets d’induction : arrivée de produits neufs vendus sur les plateformes de seconde main
  • Effets macroéconomiques et de transformation sociétale, comme le souligne l’étude : “On observe également une diminution des dons aux associations et une réduction de leur qualité́ et de leur valeur marchande, les gisements de qualité́ étant valorisés directement par et pour les particuliers sur les plateformes. On peut également anticiper une marchandisation d’échanges historiquement fait sous forme de dons entre particuliers. Globalement, ces plateformes participent à l’évolution de leurs utilisateurs vers des "conso-marchands", c'est-à̀-dire une nouvelle forme de consumérisme où les consommateurs prennent un nouveau rôle de vendeurs.”

Une grande difficulté de modélisation

Comme on peut s’y attendre, les effets directs ou indirects du e-commerce sont nombreux et variés. Il est donc très difficile d’arriver à les modéliser de façon exhaustive pour en évaluer les impacts environnementaux. Par ailleurs, cela nécessiterait de pouvoir accéder à des données qui relèvent le plus souvent du secret des affaires. Pour ces raisons, l’ADEME a d’ailleurs renoncé, dans l’étude précitée, à effectuer une telle évaluation quantitative sur le cas de la plateforme de seconde main. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude globale qui permettrait d’entériner que le e-commerce serait plus vertueux d’un point de vue environnemental, de façon systématique, que le commerce physique. Les acteurs qui se prévalent de ce type de discours font clairement du greenwashing.

…d’autres impacts

Nous avons concentré notre propos sur les impacts environnementaux qui sont multiples : changement climatique, biodiversité, utilisation de l’eau, des sols, des métaux et minéraux…Mais la logique prévaut également pour les impacts sociaux, éthiques, de santé…On mesure alors la complexité de l’évaluation et des réponses à apporter !

 

 

Sources :
• https://www.fevad.com/bilan-du-e-commerce-en-france-en-2024-les-ventes-sur-internet-franchissent-le-cap-des-175-milliards-deuros-en-hausse-de-96-sur-un-an/
• https://librairie.ademe.fr/economie-circulaire-et-dechets/7785-it4green-evaluation-environnementale-des-effets-directs-et-indirects-du-numerique-pour-des-cas-d-usage.html
• https://www.greenit.fr/barometre-de-lecoconception-digitale/
• https://www.opinion-way.com/wp-content/uploads/2025/01/OpinionWay-pour-La-Retail-Tech-Quattendent-les-Francais-de-leurs-magasins-en-2025-Janvier-2025.pdf
• https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transports/6261-commerce-en-ligne-impacts-environnementaux-de-la-logistique-des-transports-et-des-deplacements.html

 

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