
Black Friday is coming...
Black Friday, Cyber Monday,… nous sommes entrés dans la période de ces incontournables du marketing d’avant Noël. Initialement cantonnés au dernier vendredi du mois de novembre et au lundi qui suit, et aux secteurs du B2C, ces grandes messes des achats à prix cassés se retrouvent partout, tout le temps, pour tous et toutes…Et semble s’auto-alimenter ! À titre personnel, le premier mail promotionnel du Black Friday reçu cette année, le 28 octobre dernier, pour le service Blurb, mettait en avant le slogan « Faites du Black Friday votre tremplin pour vendre plus » !
La promesse du Black Friday ? Du côté des marques, des réductions exceptionnelles, -70%, -80%, -90% ! Et de l’autre côté, des acheteurs et acheteuses toujours à la recherche de bonnes affaires ! La fin du mois de novembre serait synonyme d’un véritable lâcher-prise individuel et collectif en termes de consommation !
Dès ses débuts, le terme même de Black Friday nous donne un indice sur les impacts environnementaux et sociaux de l'événement. Dans les années 60, aux États-Unis, l’expression, qui viendrait de l’argot de la police de Philadelphie, ferait référence aux embouteillages causés par les foules envahissant les rues commerçantes, profitant de cette journée qui suit Thanksgiving pour faire des achats avant Noël. Le Cyber Monday au début des années 2000 acte l’entrée en jeu des promotions digitales. Le concept se répand ensuite rapidement dans le monde entier au début des années 2010 via la croissance des géants américains comme Amazon et eBay.
Si le modèle paraît être aujourd’hui hégémonique, il semble connaître un certain essoufflement depuis l’année dernière, après une embellie post Covid en 2021 et 2022. Webloyalty Panel (un panel de 37 sites d’e-commerce mesurant le dynamisme du secteur du E-commerce), a ainsi observé en 2023 une décroissance de 9% du volume global des achats en ligne le jour du Black Friday. Pour cette édition de 2024, une étude réalisée par ShopFully (acteur européen du marketing drive-to-store), en partenariat avec OpinionWay, confirme cette tendance : “Si 44% des Français affirment vouloir profiter des offres du Black Friday, près d’un quart (23%) ont décidé de ne pas participer, tandis que 33% hésitent encore. Les principales raisons évoquées par ceux qui se détournent de cet événement sont un manque d’intérêt pour les offres (42%), l’impact de l’inflation sur leur budget (33%) et des réductions jugées insuffisantes (25%).”
Si le principal frein chez les individus reste le pouvoir d’achat, les consommateurs et consommatrices sont sensibles aux arguments écologiques et sociaux. Car dès son arrivée en France, le Black Friday s’est attiré des critiques sur ces aspects. En effet l'événement agit comme un hyper amplificateur du e-commerce avec comme corollaire :
- Des impacts environnementaux directs liés à la livraison et aux emballages. Ainsi Reporterre affirmait en 2022, qu’en période de Black Friday, le nombre de colis livrés chaque jour à Paris est quasiment multiplié par dix (et atteindrait 2,5 millions de livraisons) par rapport à la moyenne du reste de l’année — autour de 200 000 !
- Une incitation à consommer des objets dont les gens n’ont pas besoin. Cette surconsommation implique une surproduction, et notamment dans les secteurs du textile et du high-tech, parmi les plus polluants de nos économies.
- Un coût social indéniable, comme le pointe régulièrement l’association Attac : soit loin de chez nous, par la masse de travailleurs et travailleuses mobilisée par ces secteurs pour produire dans des conditions dégradées et des droits sociaux ignorés. Ou plus près de chez nous, car la réalité des réductions proposées ne permet pas de couvrir l’inflation.
- Et parfois un réel danger pour les personnes : l’Union des fabricants (Unifab) met en garde les consommateurs et consommatrices au sujet des contrefaçons accessibles sur le web à l’occasion des remises du Black Friday. Non seulement illégales, elles peuvent présenter un « danger » pour la santé et l’environnement, selon l’association.
Alors comment sortir de l’impasse de ce « vendredi noir » ?
Plusieurs stratégies sont à l’œuvre.
Marion Cas, consultante et ancienne directrice marketing chez L’Oréal, identifie ces stratégies dans un article dont la lecture est conseillée.
# 1 : proposer des prix justes, tout l’année.
C’est le cas par exemple de Back Market, leader du reconditionné, qui ne propose aucune promotion spécifique le jour du Black Friday et met en avant l’accessibilité de ces prix toute l’année dans sa communication publicitaire. Il s’agit alors de s’interroger sur la notion de prix juste et de besoin de promotion. Et de lutter contre la variabilité des prix, illisible pour les consommateurs ou les consommatrices en bout de chaîne, en proposant des tarifs constants, sans rabais.
# 2 : proposer une alternative au neuf.
Il s’agit pour les marques de mettre en avant le fait de réparer et acheter d’occasion. La plateforme Beebs, (revente d'articles pour enfants rachetée par Kiabi), adopte ainsi cette approche. IKEA lance ainsi le Black Friday (Re)Sale mettant en avant son offre de rachat intitulée: "buyblack friday".
# 3 : proposer une alternative plus éthique.
Cette démarche paraît évidente pour les acteurs qui prônent la sobriété de nos modes de vie. Par exemple, en 2018 le réseau Naturalia propose d’informer le consommateur ou la consommatrice sur le « zéro déchet » via sa journée « Vrack Friday ». Autre exemple, WeDressFair, acteur de la mode éthique et durable, propose à chacun et chacune de choisir les remises appliquées, entre 0 et 30%. Une manière de responsabiliser sur un acte d’achat impulsif.
Pour les entreprises plus classiques, les pratiques responsables gagnent du terrain, notamment grâce à des mouvements comme Green Friday ou Make Friday Green Again. La fédération Envie s'est ainsi associée à des acteurs associatifs tels qu'Altermundi, Emmaüs ou encore le Réseau national des ressourceries pour créer le "Green Friday". "À la place de ce qui aurait pu être une promotion, le client, lui, paye le même prix que d'habitude. Sauf que pour nous, les ventes du jour servent à financer des associations de la transition écologique", explique Guillaume Balas du réseau Envie. Débutée en 2017, l’initiative ne cesse de croître et a attiré plus de 550 membres en France. Le collectif Make Friday Green Again propose des actions similaires. Soutenu par B Corp, plus de 1.200 marques se sont rassemblées sous ce collectif.
# 4 : le boycott pur et simple.
Acte symboliquement très fort, les appels au boycott, notamment des gros e-commerçants, se multiplient comme, par exemple, tout récemment, celui lancé par Maud Sarda, Co-fondatrice et Directrice Générale de Label Emmaüs.
Depuis 2017, Camif.fr spécialiste dans l’ameublement issu d’une fabrication française et durable dénonce ce système de surconsommation entraînant la surproduction au coût le plus bas possible. La marque s’exprimait sur le sujet en affirmant son choix de carrément fermer son site e-commerce ce jour-là : "le Black Friday représente l’inverse de ce que nous prônons à la Camif : cette consommation rendue compulsive par un matraquage à faire perdre la raison, qui n’a aucun sens ! …». (Source)
Des stratégies qui restent …questionnables…
… et notamment dans leur capacité à remettre en question réellement le modèle de société sous-jacent … Plusieurs points peuvent ainsi être soulevés :
# 1 Alerte au greenwashing !
Même si cela parait évident, les stratégies mises en œuvre doivent réellement permettre d’avoir des impacts positifs significatifs sur l’environnement ou la société. Sinon, cela s’appelle du Greenwashing ou du Socialwashing !
IKEA reste ainsi une enseigne leader de la « fast furniture », malgré la mise en avant de ses initiatives en faveur de la seconde main.
Il peut s’agir également d’utiliser une marque comme « vitrine vertueuse » lors du Black Friday pour couvrir les pratiques commerciales d’autres enseignes au sein d’un groupe. Ainsi Nature et Découverte, certifiée B Corp depuis 2015, participe au Green Friday avec une journée “Fair Friday”. En 2022, la marque a doublé l’arrondi en caisse et sur son site pour reverser la somme à l’association ASPAS qui lutte pour la protection des animaux sauvages. L’enseigne est néanmoins une filiale du groupe Fnac Darty depuis 2019 dont les marques Darty et FNAC participent bien, elles, et résolument, au Black Friday !
# 2 Attention aux effets rebonds de la seconde main !
Comme nous le soulignons au sein du Collectif E-CO dans le Livre Blanc "Pour un e-commerce soucieux des êtres humains et de l'environnement" :
“Attention cependant à l’effet rebond : comme c’est moins cher, le client peut être incité à consommer plus, à vendre rapidement du "vieux" pour acheter du neuf, et ainsi participer à la surproduction. Dans un article de Libération datant de février 2023, Eloïse Moigno, fondatrice du label de mode éthique français SloWeAre observe justement que « Les plateformes comme Vinted ou Vestiaire collective [...] poussent les consommateurs vers des habitudes d’achat propres au marché de la fast-fashion : on achète énormément de vêtements pas chers en sachant que si on ne les porte pas, on va pouvoir les revendre. Ces applications stimulent, chez le consommateur, le côté impulsif et immédiat vis-à-vis de l’achat ». Pour limiter cet effet, il ne faut pas hésiter à sensibiliser le consommateur, à l’inciter à se poser des questions avant d’envisager la vente ou l’achat d’un produit de seconde main. “
# 3 Cela reste du marketing !
"This is not a sale" (Everlane), "Chez emoi emoi, on blacklist le black friday”...Les marques rivalisent de slogans contre la frénésie du Black Friday sur leurs sites et les réseaux sociaux. Si détourner l’événement du Black Friday pour montrer que sa stratégie commerciale peut aussi être un engagement, part sans doute d’une bonne intention, cela reste néanmoins avant tout une stratégie commerciale ! C’est plutôt bénéfique quand cela met en avant des produits et une entreprise avec une véritable démarche éthique cohérente. Mais cela ne fait pas office de stratégie de responsabilisation des marques d’un point de vue éthique, environnemental et social pour tous les autres acteurs ! On peut ainsi souligner que les communications sur ce sujet restent très maîtrisées et respectent les codes de la publicité. Les marques vertueuses sont encore loin de la sobriété en matière de communication lors du Black Friday ! Même si cela participe à une sensibilisation du grand public, sans doute le revendiquent-elles encore (un peu) trop haut et fort !
Comme le soulignait la Fevad en 2022 sur son site : « Le mouvement anti Black Friday n’est finalement qu’une campagne marketing qui attire les consommateurs plus soucieux de l’environnement. Au lieu de les faire contribuer au Black Friday, ils participent au Green Friday: dans les deux cas, le client achète. » !!!
# 4 On en appelle encore et toujours à l’individu pour agir !
Et c’est peut-être là que se niche l’impact le plus pernicieux de ces initiatives. Les actions comme Green Friday constituent sûrement un bon début pour sensibiliser sur les conséquences néfastes de notre consommation frénétique en cette période de fin d’année. Elles permettent certainement d’apporter des moyens supplémentaires aux associations pour agir. Elles sont certes cohérentes avec les valeurs des acteurs vertueux. Mais si elles ne questionnent pas le fond d’un modèle d’affaires extractiviste et productiviste, ne renforcent-elle pas un système, où ce sont justement les associations, donc des citoyens et citoyennes, le plus souvent bénévoles, qui doivent prendre en charge la responsabilité de trouver des solutions aux dégâts environnementaux et sociaux de ces mêmes entreprises ?
« Notre décision de fermer notre site Camif.fr ce jour-là n’a pas pour but de culpabiliser le consommateur, mais, de lui ouvrir les yeux sur le pouvoir qui est le sien » indique l’enseigne la Camif (Source). L’intention de non culpabilisation est certes louable, mais le message dominant reste que c’est bien l’individu tout seul, par son acte d’achat, qui aurait la capacité de résoudre les crises environnementales et sociales. Sans interpellation des pouvoirs publics et politiques, cela reste sans aucun doute un vœu pieux !
Et n’est-ce pas là une belle démonstration de la force d'un système capitaliste, celle d’ingérer et de digérer la critique pour s’en trouver renforcé ?
Alors comment avancer ? Comment aller plus loin ?
Mettre en place peut-être ces initiatives, mais en étant conscient qu’elles sont loin d’être suffisantes et en toute transparence sur ce qu’elles ne résolvent pas !
Comme toute démarche environnementale et sociale, ne jamais se suffire de ce qui a été fait, et avoir conscience que c’est bien un processus continu et de longue haleine qui doit être mis en place, au regard des enjeux colossaux des crises systémiques que nous vivons. Faire le bilan objectif et sincère de chaque opération, en incluant bien un bilan chiffré du gain environnemental et social effectivement atteint, selon des méthodes d’évaluation environnementale cycle de vie et multi-critères comme l’analyse de cycle de vie ou l’analyse de cycle de vie sociale.
Boycotter, mais ne pas le crier haut et fort ! Éduquer plutôt que communiquer ! Privilégier au marketing, des actions de sensibilisation et d’éducation sur la consommation financées par ces mêmes budgets marketing. Cesser d'interpeller le consommateur ou la consommatrice comme seule responsable de ses actes d’achat !
Profiter de ce jour pour mettre en avant des actions de plaidoyer. Interpeller les instances politiques à tous les niveaux : global, national, local. Initier des mouvements de discussion via les organisations professionnelles sur les enjeux de redirection écologique au niveau d’un secteur entier, et surtout sur les emplois de ses collaborateurs et collaboratrices si on est dans un domaine qui doit « fermer ». Réfléchir à ses propres activités de lobbying qui sont en conflit direct avec l’action des associations…
Sans doute maintenir le Black Friday pour les achats réfléchis, qui nécessitent de réellement lutter pour défendre le pouvoir d’achat, et qui permettent un mieux-être évident pour tout à chacun et chacune. Appeler par exemple à une réglementation spécifique pour limiter le Black Friday aux organisations de l’Économie Sociale et Solidaire ou aux organisations ayant démontré qu’elles respectent les 17 Objectifs de Développement Durable !
Et pourquoi pas lancer une Convention Citoyenne sur la Surconsommation le jour même du Black Friday ?
Et pour aller encore plus loin, parce que toutes ces questions ne doivent pas se limiter au Black Friday, découvrez notre Livre Blanc "Pour un e-commerce soucieux des êtres humains et de l'environnement".
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